Altered Carbon (Les IA rêvent-elles de corbeaux transgéniques ?)

Publié le par Corbeau Moqueur

Altered Carbon (Les IA rêvent-elles de corbeaux transgéniques ?)

Sur Terre en 2834, la Terre nage en plein delirium (post)cyberpunk où l'esprit des humains est sauvegardé dans piles, l'immortalité flirt avec le capitalisme, les bons vieux dieux sont remis dans leurs placards à serpillières tandis que la notion d'identité devient un concept de plus en plus abstrait. Dans cet univers lugubre et numérique louchant notamment sur Blade Runner, un ancien soldat rebelle emprisonné pendant 250 ans (comprenez que sa pile a été stocké durant cette période) se réveille, se voit octroyé un nouveau corps et contrat juteux par Laurens Bancroft, un Math (ou mathusalem, à savoir des humains ayant dépassé les 300 balais) véreux (pléonasme) afin d'enquêter sur le meurtre de celui-ci. Son nom : Takeshi Kovacs et sa mission, être le héros d'une saga littéraire qui promet au moins 3 saisons netflix...

Mais que vaut donc Altered Carbon, la série SF la plus attendue de 2018... une phrase d'accroche que j'ai dû voir je ne sais combien de fois depuis la mise en ligne de la série, il y a un peu plus de deux semaines. La réponse est évidente, elle vaut le visionnage (de toute façon, c'est le seul moyen de se faire vraiment un avis dessus), ne serait-ce déjà par ce qui saute aux yeux : ses effets spéciaux à vous couper le squeele, que ce soit pour une série ou un show tv. Difficile d'ignorer ce est évident dès les premières images des trailers, niveau univers la production a fait très fort, c'est beau, ça décoiffe, bref ça a coûté cher (plus gros budget série pour la plateforme) et l'univers du bouquin nous tends les bras.

Parce que oui, si tout le monde étale le plus de références cyberpunk possible face à cette série (des classiques Blade Runner, Ghost in the Shell, Matrix, Total Recall, aux fulgurances originales type Immortal ad Vitam, Neuromancer, True names), obtenu souvent par un simple clic chez Wikipédia (donnant l'illusion d'un semblant de verni culturel), on aurait tort d'oublier de rappeler qu'à la base Carbone modifié c'est le premier volume d'une trilogie (initié en 2002 par Richard Morgan). Outre les influences que cela présuppose, nombreuses sont les personnes à pointer du doigt le rythme inégale de la série et certains trous du scénario... qui proviennent directement du livre. Ben oui, ça semble tout con mais visiblement pas pour tout le monde, puisque bien que les séries ont des scénaristes, si vous avez un problème avec le fond du scénario de celle-ci, c'est le livre qu'il faut pointer du doigt. 

Le livre, je ne l'ai pas lu, mais à l'instar de Blade Runner, il s'agit d'un roman noir dans un univers de cyberpunk (c'est d'ailleurs l'une des raisons du succès du Blade Runner de Ridley Scott). Enfin techniquement, plutôt de postcyberpunk (suivant la place du héros dans la technocratie, les technologies utilisées, la fracture numérique et j'en passe) où les personnages essaient vaille que vaille de se démener pour alléger le dystopisme ambiant. Au demeurant, c'est un roman noir, donc une histoire de flic et/ou d'enquête. Or dans les séries, ces machins ont souvent tendance à manquer de peps dans certains épisodes ou simplement de tourner à vide, c'est d'ailleurs ce qui arrive ici dans les épisodes 7 & 8 je crois... en tout cas deux épisodes du dernier tier.

Mais au moins Altered Carbon évite de tomber dans la facilité que l'on retrouve bien trop souvent avec les héros amnésiques ou totalement étranger avec le monde qui les entoure, à savoir faire dégobiller toute l'histoire du XXIXème siècle par le premier passant venu et se sentir obligé d'expliquer chaque élément du décor, pour rapidement retrouvé ses marques. Ici c'est pas le cas, ça a d'ailleurs été très décrié par Ecran Large (notamment), mais c'est une bonne chose, puisqu'on s'attache plus facilement au regard bovin de Joel Kinnaman et les roulements de yeux de Martha Higareda ; de même qu'on ressent beaucoup plus aisément l'exotisme des décors et le clivage social extrêmement marqué.

Tout ce background ne constitue d'ailleurs pas uniquement des éléments de décor, la série au même titre que le roman, introduisent tous deux des éléments de réflexion que tout le monde sur la toile s'est empressé de palabrer (ou ergorter selon) là-dessus, non que ce soit pas intéressant... mais bordel, on est tous en train de dire les mêmes trucs, c'est à se demander si on donne vraiment envie aux internautes perplexes d'y jeter un oeil... On retiendra que l'immortalité c'est toujours aussi rasant (surtout quand on est pauvre), qu'il y aura toujours des glands pour croire en Dieu, alors même que le transhumanisme permet de devenir leur égal et qu'enfin les vols d'identité ne peuvent pas s'arranger dès lors que nos corps sont interchangeables (ce qui est pratique pour changer d'acteur au fil des saisons remarquez...). Au demeurant, l'intrigue n'essaie pas de se la jouer méta et tient ses promesses jusqu'au bout. D'ailleurs la série pourrait s'arrêter avec cette seule saison, tant toutes les sous-intrigues se rejoignent admirablement et le dénouement donne un véritablement sentiment d'achèvement.

Sans doute le meilleur plan de toute la saison, rappelant les plus belles heures de Fritz Lang ou de Jean Pierre Jeunet

Sans doute le meilleur plan de toute la saison, rappelant les plus belles heures de Fritz Lang ou de Jean Pierre Jeunet

Il est d'ailleurs dommage que l'on est pas ce sentiment tout le long de la saison, non à cause de l'histoire (résolument orientée drama et désespoir), mais de la réalisation. Soyons honnêtes, niveau visuel c'est un sans faute, l'univers est là, magnifiquement ciselé, les bastons sont extrêmement efficaces (certains diront que la balance entre violence et gore est mal equilibrée... pas moi), mais la réalisation aurait pu faire mieux. Lorsqu'on voit la plan ci-dessus, certaines entrées et la première apparition de la tour de Bancroft, il est simplement dommage qu'on ne retrouve pas une telle qualité tout le long de la série (et c'est pas une question de budget). Après là c'est du pinaillage, parce que dans les faits c'est loin d'être brouillon et l'univers prend facilement le pas sur les faiblesses de la réalisation. De toute façon, moi la sur-interprétation c'est pas mon truc (et surtout j'aime pas ça, n'importe quel navet peut devenir un chef d'oeuvre avec ce genre de raisonnement), donc je préfère m'arrêter là.

Côté personnages, hormis quelques rôles indisipides (comme le Capitaine Tanaka ou Dmitri Kadmin), certains pas assez développés (l'étrange cas de Lizzie Elliott en tête), le casting se porte bien. J'ai pas le souvenir d'avoir vu des acteurs à côté de la plaque, sauf peut cette bonne vieille Martha toujours au bord de la crise de nerf compulsive (un trait de caractère du personnage abusivement étiré) et en dépit des réserves que j'ai pour le personnage principal, tout le monde fait le café. Reste que certains personnages du bouquin frisent la caricature (les riches sont tous véreux, tandis que la pulpeuse Kristin Lehman essaie d'entuber tout le monde) et si certains éclairs d'originalité sont présents (les I.A.), ils côtoient malheureusement assez souvent les sidekicks interchangeables propre aux séries policières (du geek comique qui peut pirater n'importe quoi en HTML 5 au collègue bougon mais pragmatique, en passant par le petit ami borderline...). A ce niveau-là l'adaptation a mal torché certaines choses et aurait au moins pu faire l'effort de gommer les défauts initiales au lieu d'en rajouter.

Des visuels phénoménaux
Des visuels phénoménaux

Des visuels phénoménaux

La bande-son n'est pas non plus en reste, les sonorités digitales (ou numériques en français) participe au dépaysement et s'accorde harmonieusement avec l'univers d'Altered Carbon (certains passages de synthé se rapproche de la patte de Vangelis). Au demeurant si l'influence de Blade Runner est indéniable, Altered Carbon a sa propre identité que ce soit à travers toute ses réflexions sur l'immortalité, la technocratie et ses différentes planètes ; on aurait donc tort de le cantonner au simple sous-produit cyberpunk (nulle doute que les romans de Richard Morgan vont avoir droit à une nouvelle édition dans les librairies françaises).

Pour moi en tout cas, la série est vraiment très bien et ce ne sont pas les nombreux avis mitigés sur la question qui vont me faire changer d'avis, elle est loin d'être décousue, visuellement excellente et si faiblesse du scénario il y a, à mes yeux c'est vers le livre qu'il faut se tourner (même pour une adaptation). Reste à savoir maintenant si la suite de la série se cantonnera à la simple adaptation des anges déchus et Furies déchainées ou décidera de voler de ses propres ailes. Pour l'heure il semble que ses créateurs n'en ait aucune idée, si ce n'est que le premier rôle ne sera sans doute plus de la partie (justement à cause - ou grâce - au système de pile cher à la série)...

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